Interview Francophone
Pour un meilleur 21ème siècle
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Interview de M. Henri Révol, Sénateur Honoraire, Membre Honoraire du Parlement, Ancien Président de l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST)
by Ingrid Vaileanu and Florin Paun
Question :
Comment interpréter les avancées des dernières années concernant l’évolution des stratégies de l’innovation en France ?
Henri Révol:
Rapporteur pour avis du budget recherche au sein de la Commission des Affaires Economiques du Sénat pendant plusieurs années, et également de la Commission Spéciale du Sénat sur la loi recherche de 2006, j’ai eu l’occasion d’entendre beaucoup de spécialistes de toutes les parties prenantes, et donc de recueillir à la fois à parts égales nombre de lamentations et de propositions aussi gratuites que coûteuses sur l’état de la recherche et de l’innovation en France et son amélioration ! Ce n’était pas nouveau pour moi, car dans les années 1983-1989, Vice-Président du Conseil Régional de Bourgogne chargé de l’économie et de la recherche, j’avais piloté la mise en place d’un programme d’aide à la recherche et l’innovation ainsi que la création d’instruments d’aide aux entreprises, spécialement les PME « Bourgogne Technologie », conseil en évaluation, expertise et aide aux projets innovants, et l’IDEB (Institut de Développement des Entreprises de Bourgogne),établissement financier de capital-risque.
Question :
Quels modèles d’innovation pour assurer une croissance durable des entreprises et des territoires ?
Henri Révol :
D’éminents collègues, le Sénateur Pierre Laffitte (fondateur de Sophia-Antipolis) auteur de rapports sur l’innovation, rapporteur de la loi de 1999 sur l’innovation, avec sa proposition de création d’un grand emprunt européen pour financer l’aide à la recherche innovation, René Trégouet avec la création d’un groupe de prospective, ont en permanence milité pour le développement de l’innovation.
Alors pourquoi continuons-nous à nous poser les mêmes questions depuis des lustres sur la carence de l’innovation en France et la perte progressive de marchés à l’exportation conduisant à un déficit abyssal de notre balance commerciale alors que par exemple nos voisins allemands affichent d’énormes excédents ? Je vois personnellement plusieurs causes : les carences de notre système éducatif, l’extrême rigidité de notre système bancaire, la lourdeur des contraintes administratives qui pèsent sur nos entreprises, en particulier les TPE et PME (droit du travail, charges sociales, fiscalité, etc.).
Question :
Quelles sont les contraintes et les barrières les plus difficiles à franchir pour l’évolution du modèle d’innovation français pour soutenir la compétitivité des entreprises et des territoires ?
Henri Révol :
Malgré les recommandations de tous les rapports, discours, colloques, conférences venant comme des rengaines depuis des dizaines d’années nous dire qu’il faut rapprocher nos universités des entreprises, constatons-le, les progrès sont lents et malheureusement très loin d’être décisifs! L’avancée de la loi sur la réforme des universités de 2007 leur apportant notamment la possibilité d’autonomie et de création de pôles regroupant compétences et moyens n’a pas pour le moment apporté les fruits attendus. La possibilité de confier la présidence du conseil d’administration d’universités à des responsables du monde économique a souvent donné lieu, lorsqu’il y avait des propositions dans ce sens, à des luttes picrocholines entre syndicats d’enseignants et partisans de cette innovation pourtant porteuse de réalisme ! Les exemples ne manquent pas d’universités où la mise en place des conseils d’administration a demandé des mois parce que la présidence était proposée à un chef d’entreprise reconnu dans sa région et récusée pour finalement aboutir à un simulacre de respect du principe en élisant un président d’association sociale, certes respectable, mais n’ayant jamais mis les pieds dans une entreprise! Toujours présente cette sacro-sainte idéologie anti-réussite et anti- profit !
Question :
Peut-on envisager des solutions et une vision commune française sur la stratégie nationale d’innovation ?
Henri Révol :
C’est d’ailleurs bien avant l’université que l’éducation prêche dans notre pays pour prédisposer à l’innovation ! Les timides efforts pour développer l’apprentissage de métiers techniques plutôt que de faire croupir des jeunes sur les bancs de l’école alors qu’ils n’ont ni la capacité ni l’envie de poursuivre des études longues, ces efforts n’ont pour le moment guère d’impact. L’apprentissage « sur le tas » d’un métier (souvent en alternance avec de l’enseignement théorique), en bénéficiant de la transmission de savoir-faire, de « tours de main » donne le goût à la création et à l’innovation. Il est intéressant pour cela d’observer la formidable capacité de création et d’innovation dans les métiers d’art et de design, qui place notre pays dans le peloton de tête des classements mondiaux. Associer l’enseignement théorique au développement de l’habileté manuelle donne le goût de la création !
Question :
Quel est le rôle des enjeux d’évaluation dans le développement de l’écosystème d’innovation compétitive ?
Henri Révol:
Associé à ce goût de la création, développons aussi le goût de l’effort. Nos classes préparatoires aux grandes écoles d’ingénieurs se dépeuplent au profit de cursus moins contraignants, signe alarmant de la recherche du moindre effort et des moindres contraintes ! Autre frein à l’innovation, la rigidité du système bancaire. Le jeune ingénieur qui se présente chez son banquier avec un projet de création de sa propre entreprise, avec une idée de création et commercialisation d’un nouveau produit ou procédé, dûment validé par des experts et avec une étude de marché favorable, voit sa demande d’octroi de prêt refusée au motif d’insuffisance de garanties s’il n’apporte pas par lui-même ou en famille des biens à hypothéquer !
Question:
Vues les asymétries des acteurs de l’innovation (culturelle, de risque, temporelle, etc.) comment envisager le travail collaboratif et les outils qui peuvent pérenniser les relations de collaboration ?
Henri Révol :
Autres difficultés pour la TPE ou petite PME : comment son responsable peut-il consacrer du temps à la mise au point d’un produit nouveau, à l’amélioration d’un procédé de fabrication, à l’adaptation d’une machine... s’il est écrasé de charges, de paperasse administrative et de lourdeurs du droit du travail ? Alors que faire pour développer l’innovation, donc la compétitivité ? Il faut une véritable révolution culturelle ! Ne plus laisser croire aux parents que leur enfant est un cancre si on lui conseille de s’orienter vers un apprentissage de métier ou un enseignement technique. Lui apprendre le goût de l’effort, faciliter le développement des initiatives en donnant de la souplesse au système bancaire pour ceux qui créent. Donner de la flexibilité dans le droit du travail, réduire les charges, surtout pour les TPE et les PME, sources naturelles de l’innovation.
De nombreuses mesures nationales ont été prises ces dernières années qui vont dans le bon sens : la création du crédit impôt recherche qui heureusement est maintenu (mais il faut en faciliter l’accès aux PME), la création des pôles de compétitivité (qu’il faut développer), la création des CAMPUS, des PRES qu’il faut continuer à soutenir, de l’Agence Nationale de la Recherche... Les pôles decompétitivité permettent souvent « a minima » d e créer et développer des synergies entre entreprises et institutions qui s’ignoraient. Par exemple en Bourgogne la création du pôle nucléaire de Bourgogne a permis à une soixantaine d’entreprises qui ne se connaissaient pas de créer un réseau dans la métallurgie de haute qualité et de nouer de fructueuses collaborations avec des laboratoires de l’Université de Bourgogne, l’école d’ingénieurs des Arts et Métiers, les laboratoires du CEA, etc. De même avec la création du pôle agro-alimentaire de Bourgogne Vitagora.
Question :
Les modes de gouvernance des projets d’innovation ont évolué. Comment garder des bons repères et pratiques pour mettre l’innovation au cœur de la croissance en Europe ?
Henri Révol :
Toutefois, l’innovation, c’est d’abord un état d’esprit. Je me souviens de cette anecdote qui m’a été rapportée par mes amis du monde spatial que j’ai beaucoup fréquenté : dans la perspective des premiers vols habités et afin que les astronautes américains puissent écrire en apesanteur (impossible avec les stylos terriens), la Nasa avait mobilisé des ingénieurs pendant de longs mois pour mettre au point une « pointe bic » utilisable dans l’espace, programme sans doute coûteux. Or, lorsque les astronautes américains ont séjourné dans l’espace avec leurs homologues russes, ils ont découvert que ces derniers utilisaient tout simplement des crayons- mines ! Quand l’homme a inventé la roue, il n’avait sans doute pas l’arsenal de moyens de l’homme moderne ! Peut- être y a-t-il là matière à méditation !