Interview Francophone
Pour un meilleur 21ème siècle
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Utilisation de l’Hydrogène vert (H2v) comme vecteur du déploiement
Du mix-énergétique dans les boucles locales d’autoconsommation collectives.
Bernard Laget
Interview pour l edition speciale 2023 VISIONNAIRES DU 21e SIECLE!
by Ingrid Vaileanu
Interview Francophone : Comment résumez-vous vos activités pour soutenir le futur des solutions hydrogène ?
Bernard Laget : Depuis 2016, la Municipalité de Châteauneuf (dans le Département de la Loire) travaille, dans le cadre de sa politique d’investissements, sur l’utilisation des énergies renouvelables (EnR) pour couvrir les besoins en énergie de ses bâtiments, cela bien sûr après avoir fait les nécessaires travaux pour assurer leur isolation thermique, avec le double objectif de réduction de son impact carbone, et de ses dépenses de fonctionnement.
La propriété communale du château du Mollard, et son parc paysager de 24 hectares, est un ensemble de bâtiments à taille humaine intégrant : habitat, activités économiques (bureaux), activités sociales, sportives, et culturelles (centre aéré, clubs, et animation). Il constitue donc une forme de hameau sous maîtrise publique qui permet de tester l’acceptabilité des Energies Renouvelable tant au niveau des occupants du site, que de leur intégration dans un cadre paysager.
La plate-forme ILOT@GE « Initiative LOcale pour la Transition @nerGEtique » intègre la chaîne complète pour la mise en œuvre des EnR : production (solaire et micro-éolien), consommation in situ, stockage pour gérer les intermittences (batteries, et hydrogène), pile à combustible, borne de rechargement de véhicule à l’échelle domestique.
Concrètement ILOT@GE intègre 90 m² de panneaux photovoltaïques, 108 micro-éoliennes (24,3kWc), un stockage tampon par batteries de 52 KW, un électrolyseur de production d’hydrogène et son stockage à basse et haute pression, une chaudière hydrogène, une Pile à Combustible, une borne de recharge.
Le stockage de l’hydrogène permet : la recharge de véhicules, la production de chaleur soit par injection dans la chaudière gaz soit par récupération de la chaleur fatale produite par l’électrolyseur, et la production, en période d’intermittence, d’électricité par une pile à combustible. Cela favorise l’autoconsommation énergétique sur le site ou l’alimentation à distance d’autres sites de la Commune.
Cette réalisation a reçu en 2020 le trophée HYDROGENIE catégorie stockage et valorisation des renouvelables.
Interview Francophone : Quelle est votre meilleure réussite dans le domaine des innovations hydrogènes et quels sont les partenaires à mettre en lumière ?
Bernard Laget : La principale innovation a été de constituer une chaîne complète de mise en œuvre des EnR, intégrant des éléments standards, dans un cadre abritant plusieurs types d’activité sans induire de perturbation pour les résidants.
De fait, ILOT@GE est une plateforme rurale de production et de stockage d’hydrogène renouvelable implantée sur notre commune de 1600 habitants. Elle s’intègre à l’environnement d’un parc paysager public de 24 hectares.
ILOT@GE, c’est :
1. Produire de l’hydrogène à partir du solaire et du micro-éolien.
2. Réunir sur un seul site toutes les utilisations domestiques par autoconsommation de l’hydrogène pour : le chauffage par injection dans le bruleur de gaz naturel, la mobilité, l’électricité pour le bâtiment, ou l’éclairage public aliment en courant continu.
3. Prouver que les territoires ruraux peuvent utiliser l’hydrogène pour réussir la transition énergétique en développent le mix-énergétique.
4. Disposer d’un démonstrateur pour les acteurs de la filière, qui pourront, dans le cadre d’une plate-forme technologique ouverte totalement instrumentée, venir tester leur prototype car tous les éléments de la chaîne sont instrumentés, ce qui justifie l’@ dans son acronyme.
A titre d’exemple, il convient de citer le partenariat établit depuis 2019 avec la société BDR THERMEA sous la marque DE DIETRICH pour le test en conditions réelles d’une chaudière 100% Hydrogène de 28 kW, d’une chaudière à condensation de 90 kW hybridée avec 20 % d’hydrogène, et celui d’un électrolyseur innovant evHYdens ® DYOMIX directement raccordé à une chaudière mixte pour produire en continu l’Hydrogène vert et éviter son stockage. Ce partenariat a été renforcé en 2021 avec l’arrivée de la société SUNTEC, pour mettre au point un système de régulation de l’injection de l’hydrogène directement dans le brûleur d’une chaudière gaz standard. La combustion de l’hydrogène ne génère aucune émission de CO2 et de monoxyde de carbone, les oxydes d’azote sont très limités par la conception de la chaudière et de son brûleur.
De même, en partenariat avec l’Automobile Club de Monaco, nous avons développé, pour l’édition 2021 du E-RALLYE, une station mobile de recharge à haute pression (1000b) pour l’avitaillement des véhicules.
Compte tenu de le nécessité de mettre en place des moyens logistiques qui n’entrent pas dans le champ des compétence reconnues pour une collectivité locale, et vue la réussite de cette expérimentation nous avons favorisé un essaimage avec la création d’une société dédiée aux développements des stations de recharge pour véhicule.
Interview Francophone : Quels objectifs pour les prochains 5 à 10 ans ?
Bernard Laget : Cela dit ces deux expérimentations nous offrent un regard croisé entre deux des principales voies qui s’ouvrent à la filière hydrogène : la mobilité et les usages domestiques. Il permet de mettre en lumière une différence de taille liée aux besoins en pression nécessaire pour leur mise en œuvre.
La mobilité requiert de travailler à haute pression de l’ordre de 1000b, alors que pour les usages domestiques nous travaillons à 20 mbar !
La mobilité est actuellement bien prise en compte dans les différents plans de développement mis en place au niveau national et européen. Il n’en n’est pas de même pour les usages domestiques et plus globalement le secteur de la construction.
Avec ILOT@GE nous disposons d’un prototype de boucle locale pour la mise en œuvre de la transition énergétique dans la desserte des bâtiments.
De fait, l’Hydrogène vert étant donné ses capacités de production au niveau local, et sa facilité de mise en œuvre à différents niveaux de la chaîne de la valeur, peut faciliter la mise en place de ce type de dispositif en permettant de travailler à la fois sur les deux usages principaux utiliser dans un bâtiment au niveau énergétique : l’éclairage et la chaleur.
Avec ce concept l’Hydrogène vert sert de moyen de stockage tampon pour compenser les intermittences dans la production par EnR.
A l’avenir, la notion de boucle, locale me semble particulièrement utile, dans la gestion des réseaux de production, et de distribution d’énergie.
La procédure d’autoconsommation collective (ACC) offre le cadre réglementaire pour coupler les boucles locales au réseau de distribution public d’électricité qui a été conçu dans une approche pyramidale pour couvrir la desserte de l’ensemble du territoire national à partir d’un petit nombre de sites de production. Son utilisation permet d’éviter de couteux renforcement pour desservir les écarts.
Dans ce contexte il conviendra de travailler sur le déploiement d’une filière de production de système de petite taille, à partir de techniques et de méthodes de fabrication bien maitriser par le tissu industriel. Ainsi nous apportons une voie de diversification pour conforter ce secteur d’activité.
Cette proposition se situe en opposition avec les choix faits au niveau des instances nationales ou européennes qui prônent uniquement les méga investissements pour le déploiement de l’hydrogène en cherchant à dupliquer le modèle centralisé de production énergétique.
Bien évidemment, ces réseaux centralisés développés au XX° siècle conservent toute leur utilité surtout si nous renforçons les modes de production avec des énergies décarbonées adaptées, comme le nucléaire, toutefois dans une approche centralisée/décentralisée le déploiement de boucles locales utilisant de l’Hydrogène vert comme moyen de gestion des intermittences apportera flexibilité et résilience dans la gestion du mix-énergétique.
Interview Francophone : Quels sont les blocages en France et en Europe pour la généralisation des solutions hydrogène et comment voyez-vous les solutions ?
Bernard Laget : Dans la population la principale interrogation relève du « syndrome ZEPPELIN » qui dans l’inconscient collectif associe l’hydrogène à l’explosion intervenue le 6 Mai 1937 à New York, tout comme les expériences de physique-chimie en classe de sixième, lors des travaux pratiques, qui faisait détonner un tube à essai ayant de l’hydrogène crée localement par électrolyse.
A son échelle et dans le respect des normes de sécurité usuellement appliquées aux bâtiments accueillant du public, ILOT@GE permet de démontrer l’acceptabilité par nos concitoyens de l’hydrogène dans un cadre domestique et paysager à travers la mise en place d’un démonstrateur.
Ainsi, la pédagogie de l’exemple permet d’objectiver le débat et de rassurer les craintes en apportant la légitimité nécessaire pour contrer l’invocation du principe de précaution qui sert bien souvent de prétexte au faiseur de normes pour refuser la mise en œuvre d’innovations.
Plus globalement, l’hydrogène du fait des spécificités très particulières induites par la flexibilité de sa mise en œuvre comme vecteur énergétique devra trouver ses voies de déploiement sans vouloir imiter celles utilisées actuellement pour les autres vecteurs.
Ce frein est peut-être encore plus prégnant que le précédent car il demandera aux acteurs industriels concernés, souvent issus des secteurs traditionnels de l’énergie, de changer de paradigme.
Ce type de constat s’applique aussi pour certaines formes de production d’électricité comme l’éolien ou le photovoltaïque parfois tant décriées en raison de l’utilisation d’installations de grandes tailles.
Interview Francophone : Quel est votre message pour les générations du 21e siècle ?
Bernard Laget : Il est bien présomptueux de répondre à cette question !
Face aux évolutions pressenties dans nos modes d’approvisionnement en énergie, et afin de ne pas hypothéquer l’avenir il convient de travailler dans le cadre d’une transition énergétique pragmatique, réaliste et résolument innovante.
Il est vraisemblable que pour faire face aux attentes de nos concitoyens nous devrons imaginer un mode d’organisation de notre société qui sera moins pyramidal en intégrant une forme de « fractalité » seul moyen de concilier la dualité entre le besoin de centralisation nécessaire pour garantir une desserte minimale et de décentralisation pour répondre aux attentes de chacun.
En résumer il convient de « ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier » !
Maire de Châteauneuf dans la Loire (42), Bernard Laget a déjà vécu plusieurs vies.
Il est docteur en mathématiques, et professeur des Universités.
Il a été vice-président de l’Université Jean Monnet à Saint-Etienne de 1986 à 1990.
En 1993 il a créé l’Institut des Sciences de la Vision. A ce titre, il est à l’origine de la première filière de formation par voie d’apprentissage au niveau Bac+5 dans l’Ingénierie de la Vision.
Il devient Directeur de l’Ecole Nationale d’Ingénieurs de Saint-Etienne (ENISE) jusqu’à sa retraite en 2010.
Parallèlement, Bernard Laget s’est engagé dans la vie publique locale, d’abord à Châteauneuf, dont il est maire depuis 23 ans.
Il a assuré la Vice-Présidence de Saint-Etienne Métropole, entre 2004 et 2008, puis entre 2014 et 2020 en charge de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, l’Innovation, de l’Entreprenariat, et du numérique.
Entre 2008 et 2020 Bernard Laget a été Vice-Président puis Président du SIEL-TE. Sous son impulsion, cet organisme s’est montré très dynamique sur les sujets de l’aménagement numérique et de la transition énergétique du territoire. Il a, entre autres, piloté la construction du premier réseau de fibre optique de France, à maille départementale, pour desservir 274 communes jusque chez l’habitant, ainsi que le déploiement des objets connectés à destination des collectivités.
Bernard Laget a donc ancré le SIEL-TE dans cette vocation d’accompagner les territoires, y compris les plus ruraux, vers la transition numérique et énergétique.
Aujourd’hui, Bernard Laget est Conseiller Départemental de la Loire en charge des transitions de de l’innovation. Dans ce cadre il pilote le déploiement du Plan de Résilience Climatique de la collectivité.